Le modèle T d'Henry FORD


Runabout 1911 JP Hombert
          Voilà une automobile qui vient d'être élue : " VOITURE DU SIECLE " alors que deux générations ont oublié pourquoi...
          Rappelons à tous que les usines Ford en produisirent plus de 15 millions pendant 19 années !
           Et qu'avec elle une autre conception de la production industrielle a vu la jour...
           Que son prix ridiculement bas a permis de mettre l'Amérique sur 4 roues...
           Et qu'il a fallu un protectionnisme farouche pour que survivent à ce fléau les industries automobiles des autres pays ! !

          Mais elle a donné la possibilité à des millions d'Américains de toutes classes sociales, de voyager, travailler, produire, bref, de vivre autrement. Son surnom fut " Lizzie " et le choix de la lettre T pour ce modèle n'a rien à voir avec Frederick Taylor qui en fut le parrain virtuel par le simple fait qu'elle represente la quintessence de ses recherches et de ses convictions, l'aboutissement d'un demi-siècle de bouleversements industriels.
          La grande idée d'Henry FORD, qui par ailleurs avait fait la preuve de son génie pour la mécanique, fut de donner la priorité à l'innovation commerciale. C'est elle qui offrira la possibilité d'innovations techniques et, par voie de conséquence, lancera une vraie révolution sociale.
Touring 1911 John Hoovey

          Avant le modèle T , posséder une automobile était un luxe. Elles étaient fabriquées " à la main " par des ateliers artisanaux, dont la structure de travail était directement héritée du corporatisme moyenâgeux. Il en était de même en France où les Panhard-Levassor, De Dion-Bouton étaient réservées à une élite fortunée. Chacun, à la commande définissait la carrosserie qu'il souhaitait et recevait sa voiture un an plus tard, alors que les progrès techniques l'avaient déjà rendue obsolète.
          Ford aussi, sous la pression de ses financiers, avait été obligé de fabriquer "luxe". Il en avait compris les limites et, en homme avisé, par réaction, avait conçu une stratégie toute différente.

Châssis sortant de ligne 1912
          Il ne voulait pas construire une voiture au rabais.
          Il la voulait robuste, fiable, prête à toutes les tâches; une sorte de mulet :
" Je veux construire une automobile pour les masses ; assez grande pour une famille, mais assez petite pour qu"une seule personne puisse s"en servir et en prendre soin.
Elle sera faite avec les meilleurs matériaux, par les meilleurs ouvriers, d"après les plans les plus simples que puisse imaginer l'art de l'ingénieur moderne.
Mais elle sera d'un prix assez modeste pour que tout homme gagnant un bon salaire puisse l'acheter et, grâce à elle, jouir avec sa famille des agréments et des beautés que Dieu a mis dans la nature "
.

         Il avait donc évalué les besoins de ses concitoyens et le succès commercial suivit:
          Les chiffres de production sont impressionnants:
           Avant la T: 1903: 1 708... 1905: 1599 ... 1906: 8 729 ... Commencement du modèle T en 1908: 10 202 ...
          1909: 10 607..... 1910: 18 664.....1914: 248 307......1918: 642 750..... 1922: 2 055 309.... 1926: 1 629 184.


          Dès les débuts, Ford comprit que pour accroître la production, il fallait agrandir l'usine...Mieux ! Il en fit concevoir et construire une à Highland Park sur l'emplacement d'un ancien champ de courses par le meilleur architecte du moment, un des premiers spécialistes du béton armé : Albert KAHN.
Départ de bon matin de Highland Park
Ligne d'assemblage 1913
           On y aménagea en décembre 1909, mais le processus de fabrication restait encore archaïque : une équipe d'une cinquantaine d'ouvriers travaillait sur un châssis qui allait d'un atelier à l'autre pour assembler dans chacun d'eux ce qui y était fabriqué.
On imagine le temps perdu en déplacements, contretemps, attente et fatigue que cette organisation générait.

          La demande étant sans cesse croissante, il fallait trouver une autre organisation...

          Ce fut la CHAINE.
          Samuel COLT, en fabriquant plus de 300 000 revolvers, avait lancé la grande série des fabrications de précision. Il avait aussi compris la nécessité de standardiser pour rendre les pièces interchangeables et assurer la maintenance des armes vendues.


           En 1908 Henry LELAND avait, lui aussi, voulu standardiser la fabrication de ses Cadillac... C'était un réel progrès que d'arriver à produire avec précision chaque pièce à l'identique.
          On suivait là, très exactement, les principes de production préconisés par TAYLOR, énoncés dès 1903 dans son ouvrage : SHOP MANAGEMENT et diffusés par le canal de L'A.S.M.E. ( American Society of Mechanical Engineers ).
Ligne d'assemblage 1913

          Il y avait à DETROIT 41 usines de fabrication automobile, et on imagine l'effervescence que provoquait une telle concurrence. Frederick TAYLOR était venu faire des conférences et tous voulaient tayloriser; l'un des premiers à appliquer ces principes fut PACKARD, mais FORD, qui possédait l'arme fatale avec son modèle T, mettait en application une autre de ses idées en remplaçant, chaque fois que cela était possible, l'homme au travail par une machine !
          Il circulait dans l'usine, connaissait chaque poste de travail, et chaque jour trouvait une solution ou énonçait un besoin que ses ingénieurs s'appliquaient à satisfaire
.


          La première chaîne de montage au monde fut installée à Highland Park au printemps 1913. En fait, elle était à l'étude depuis plus d'un an.
          Un ouvrier mettait 25 minutes pour assembler une magnéto sur le volant d'inertie, et ceci avec beaucoup d'efforts car l'ensemble pèse 23 Kg.
          On construisit alors une sorte de longue étagère munie de glissières, et chaque ouvrier ne fit plus qu'une opération : visser un aimant ou mettre en place l'entretoise, ou visser la plaquette... Le temps d'assemblage fut réduit à 13 minutes 10 secondes !
          On modifia la hauteur de cette table d'assemblage, l'emplacement des pièces à monter, et grâce à ce travail d'ergonomie, le temps tomba à 7 minutes.
assemblage des magnétos 1913

          Un an plus tard, on remplaça la table-étagère par une bande transporteuse motorisée et le temps d'assemblage fut réduit à 5 minutes.

          On fit de même pour les autres éléments de la voiture : train avant, pont à différentiel, moteur (qui était rôdé sur banc pendant 10 heures ! ), et surtout le châssis : cette pièce maîtresse permettant de fixer toutes les autres fut l'objet de toute l'attention des ingénieurs.


châssis poussé 1913
           On commença par le tirer, au moyen d'un filin et d'un treuil, sur une sorte de berceau métallique. Dès que les roues étaient montées, celles-ci étaient guidées dans un rail, l'ensemble avançait d'un poste à l'autre ; une équipe de 6 assembleurs suivait le châssis et prenait les pièces à des tas placés sur le parcours. Cette expérience rudimentaire réduisit le temps de montage de 12 heures 30 à 5 heures 50. D'autres améliorations furent apportées quand le châssis fut lui aussi convoyé ; les monteurs restaient au même poste pour être plus rapides..
          Ainsi fut introduit le mouvement continu permettant à un seul ouvrier d'effectuer le travail qui en nécessitait 3 ou 4 auparavant. Le TAYLORISME était lancé, l'ouvrier n'avait plus besoin d'un long apprentissage pour être efficace à un poste d'où il ne bougeait plus. Les pièces acheminées par des convoyeurs à bande sur toute la longueur de l'usine, arrivaient à point nommé quand et où on en avait besoin.
chaîne de montage motorisée 1917

          L'idée de ces convoyeurs ( aussi appelés trolleys ) était venue à Henry Ford à l'occasion d'une visite des abattoirs de Chicago. Il avait compris le parti qu'il pouvait tirer d'aménagements semblables dans sa propre usine. La grande difficulté consista à coordonner les flux des convoyeurs et ceux des différentes chaînes secondaires de façon à éviter les engorgements.